SIZZLA, « Ghetto youth-ology »

Reggae la sé sel medikaman nou ni.
Je me suis souvent demandé comment je pourrais expliquer le reggae à mes enfants. Que dirais-je si on me demandait d’écrire un article dans « Le reggae pour les nuls » ? La réponse pourrait tenir en un mot : médicament.

Oui le reggae est un médicament, une sorte de thérapie douce. Un bon classique sur la platine (au hasard un Utterance de Black Uhuru ou un African postman de Burning Spear) et l’esprit « fly away« , s’élève vers des cieux subitement immaculés; le corps semblant se détacher de son enveloppe terrestre pour devenir caisse de résonance de ces syncopes mystiques et de cette basse hypnotique. On se sent léger mais Terrien, en phase et à sa place. En quelque sorte entre terre et ciel, un super substitut d’antidépresseur à moindre frais pour la Sécu. Mais gare! A peine lâche t-on le mot médicament que vient planer illico la notion de poison. Comme tout vaccin, le remède comporte en lui sa dose de venin. Et certains artistes dancehall jamaïquains, dont Sizzla, manient vigoureusement ce paradoxe.
Car Kalonji (son surnom), outre le fait qu’il est probablement le chanteur jamaïquain le plus doué de sa génération, traine derrière lui de belles casseroles. Appartenance proclamée à la secte rasta Bobo Dread – qui se fait remarquer par sa vie en autarcie, son traitement des femmes rétrograde et sa religion intégriste – et propos homophobes, anciens certes, malheureusement en vogue dans la Jamaïque des années 2000. Sizzla a fait (sincèrement?) son mea-culpa et semble, avec cet album, reparti sur de bons rails.
Ghetto Youth-ology est un véritable médicament. Un album sur vitaminé, boosté à la Juvamine et à inspiration divine. Et pour cause. Loin des surproductions digitalo-gonflantes qui éloigne parfois le reggae de ses racines, Sizzla propose un nu-roots attrayant, aux lyrics conscients. Lui le chanteur prolifique qui sort 2 albums par an (en général un bon et un mauvais) a tapé fort.

Produit par Melbourne Miller, bassiste du Firehouse Crew qui l’accompagne en concert, on se délecte d’un son chaud et organique à l’ancienne. La production est excellente, les arrangements sont discrets mais efficaces. Quelques effets sur la voix ou les instruments venant relever la musicalité de l’ensemble et le son résolument proche de l’analogique. Hormis 2 morceaux lovers arrivés là on ne sait comment, l’album est très bon. Il commence par 2 tueries « Jah love » et « Ghetto utes dem ah suffer« : excellente entrée en matière pour donner le ton de l’opus: amour et politique. Entre amour fraternel, engagement social et dénonciations à tout crin, c’est du bon Sizzla. Du lourd, quoi!
A noter enfin la belle pochette d’inspiration art naïf qui donne envie de voir remuer tous les booty de la Terre… le Printemps arrive, c’est bon ça!

PS: pour aller plus loin sur le sujet du venin bobo dread, lisez cette passionnante interview de Beenie Man qui dit avoir failli y laisser sa peau…

http://www.fluctuat.net/musique/interview/beenieman.htm

Où trouver ce document ?

Author: Jérôme

Persuadé que toute musique a un sens social caché, il déteste Florent Pagny et Elton John. Musicien, il raconte partout qu'il a joué avec Tiken Jah Fakoly et qu'il a touché Angus Young lors d'un concert à Alpexpo en 1980. Il essaye lamentablement d'imposer l'écoute de France Culture en voiture à ses enfants, mais connaît le rap et le r'n'b de Skyrock par cœur. Obnubilé par la désertion des jeunes en bibliothèque, il serait prêt à remplacer le logo des bibliothèques de Grenoble par une photo plain-pied de Beyonce.

7 Replies to “SIZZLA, « Ghetto youth-ology »”

  1. J’aime beaucoup la description que tu donnes au début… J’avais jamais vraiment réussi à mettre les bons mots dessus.

    1. Merci LionL! Pas facile de décrire des impressions liées à lécoute musicale, immatérielle par définition… mais un peu plus simple quand il s’agit d’une musique qu’on adore, spirituelle qui plus est! Je te conseille par ailleurs l’écoute de Romain Virgo, Gappy Ranks, I Octane et Konshens, les étoiles montantes en Jamaïque qui me font dire qu’encore et toujours « reggae music never die! »

  2. C’est comme chacun veut… L’argot français et créole est extrêmement riche à ce sujet… des exemples!!?

  3. Merci pour ces précisions fort utiles et qui me mettent les points sur les i 😉 Cependant une question me taraude : quel est donc le terme technique usité pour la même partie du corps des hommes ?

  4. Alors le nu-roots c’est du « nouveau roots ». Roots voulant dire racines le roots en reggae c’est du reggae à l’ancienne (ex Bob Marley), le nu roots c’est donc du reggae à la sauce d’aujourd’hui. Par opposition au terme dancehall qui est utilisé en Jamaïque pour ce qu’on appelle en France le ragga. Du coup en France l’appellation dancehall est utilisée pour le type de reggae mélangeant nu-roots et ragga (Sizzla, Anthony B en sont les meilleurs exemples). Enfin booty c’est… comment vous dire? Une partie charnue du corps de la femme fort appréciée des hommes et qui relie les jambes au reste du corps…

  5. Article très intéressant mais certains termes techniques (dancehall, nu-roots, booty) mériteraient quelques éclaircissements pour le non-initié…

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