ORELSAN, « Plus rien ne m’étonne »

C’est marrant des fois les associations d’idées… Alors que je m’interrogeais sur les liens entre Musique et thème du Printemps du Livre 2012 « Tout bouge autour de nous », immédiatement ce titre d’Orelsan issu de son dernier album « Le chant des sirènes » m’est apparu comme une évidence…

Plus rien ne m’étonne/Tout bouge autour de nous… Oxymore? Gradation? Antithèse?
En tous cas, interrogations et réflexions sur un monde en mouvement sont au centre de cette dixième édition du Printemps du Livre de Grenoble et du second album de l’excellent et singulier Orelsan.Orelsan c’est ce rappeur d’une trentaine d’années qui déclencha la furie des associations féministes et de certains politiques en 2009 (voir ici). S’en suivit un déferlement médiatique aussi stupide et déplacé que celui d’un DSK pris par la patrouille au Carlton de Lille.
Né à Caen en 1982 de parents instituteurs, il vit la vie de n’importe quel enfant de la classe moyenne de province. Ecole de management, hôtellerie et veilleur de nuit avant que la musique et l’écriture se mettent à veiller sur sa destinée. Orelsan n’est pas le Eminem français comme on l’entend malheureusement souvent. Les deux bougres n’ont rien d’autre en commun que leur art et la couleur de leur peau… être blanc dans le rap c’est rare, raccourci facile! Ghetto noir de Détroit, vie misérable et textes sombres d’un côté. Banlieue pavillonnaire, écoute de Saint Saens avec sa grand-mère, de Michel Berger, de Queen puis de rap US et français de l’autre. Orelsan c’est un bagage social et culturel qui dénote forcément dans le milieu du rap plutôt habitué aux ghetto-youth*, aux Hummer** ou aux faits de gloire aussi intéressants que des nuits en garde à vue.

« Le chant des sirènes » est une petite merveille d’écriture. Jubilatoire, cynique, dépressif, juste, cet album est un excellent trait d’union entre les spécialistes du genre et les tenants d’une chanson française à textes, ou disons à paroles pas trop connes. Détenteur haut la main de la plus belle plume rap du moment (à égalité avec Youssoupha), Orelsan décrit fort justement la vie d’un trentenaire, plus vraiment jeune mais encore tiraillé par ce passage à l’état adulte qu’il semble ne pas être capable de devenir. Les états d’âme de la génération de la crise des valeurs et de la crise tout court. Le témoin involontaire et gênant de cette déclassification qui fout la flippe à tous enfants de ceux qui ont connu le plein emploi et la baguette à 1 franc. Comme le notait très justement Virgine Despentes dans un article des Inrocks sublimement intitulé « Baise-moi, sale pute », Orelsan c’est du rap de fils de fonctionnaire. Le râle de quelqu’un qui se voit rater ce que des générations avant lui ont réussi. Tel le dernier soubresaut d’une bête fragile, éblouie et broyée par le 35 tonnes de la consommation, de l’image (de soi?) et des réseaux sociaux, ce gamin assène un douloureux middle kick**** dans les genoux des idéaux politiques de bon-papa et de sa vieille confiance dans les institutions républicaines qui allaient rendre les gens meilleurs et la société plus égalitaire. Et on entend salement craquer des os.

« Plus rien ne m’étonne » n’est certainement pas le meilleur titre de l’album qui mérite d’être écouté en intégralité. Appréciez ici le poignant Suicide social.

Voilà. « Le chant des sirènes » est la complainte d’un type perdu dans ce vaste monde. Qui passe son temps à se manger des échecs et à se fracasser contre ses rêves qu’il ne sait même pas, au fond, ce qu’ils sont. Flipper plutôt que se bouger. Vider des 8.6 à longueur de journée. Ne pas être foutu de trouver l’amour. Enchainer les soirées. Jouer à la Play comme on joue en bourse. Tirer un coup ou tirer sur un joint comme d’autres tirent des plans sur la comète de leur plan social qui boostera les dividendes. Etc etc.

Allez, khlas… Je vous laisse sur ce côté obscur d’un monde qui bouge et vous donne rendez-vous au Jardin de Ville du 28 mars au 1er avril pour essayer de ré-enchanter ce monde qui tangue…

Je vous embrasse pas, je pique.

Où trouver ce document?

* Jeunes du ghetto
** Grosse bagnole qui est la meilleure sur GTA***
*** Jeu vidéo amoral où on roule en Humer pour aller convoyer de la drogue, tirer sur des flics et éventuellement écraser des piétons
**** coup de pied circulaire en boxe thaï et dans tout un tas de sports de combat

La fin est un clin d’oeil à Christophe Conte

Author: Jérôme

Persuadé que toute musique a un sens social caché, il déteste Florent Pagny et Elton John. Musicien, il raconte partout qu'il a joué avec Tiken Jah Fakoly et qu'il a touché Angus Young lors d'un concert à Alpexpo en 1980. Il essaye lamentablement d'imposer l'écoute de France Culture en voiture à ses enfants, mais connaît le rap et le r'n'b de Skyrock par cœur. Obnubilé par la désertion des jeunes en bibliothèque, il serait prêt à remplacer le logo des bibliothèques de Grenoble par une photo plain-pied de Beyonce.

3 Replies to “ORELSAN, « Plus rien ne m’étonne »”

  1. J’adore la première phrase de Jö, où je comprends seulement ces mots : “si je peux me permettre”. Vas-y, tu peux !! Mon père disait déjà (mais c’était en 68): “mes enfants m’ont plus appris que je ne leur ai appris….”

  2. J’aurais pu éditer le commentaire précédent mais il était déjà suffisamment long…
    Donc à voir en bonus, les 14 400 et quelques commentaires sur youtube, où prennent place de grandes discussions entre fans décérébrés, détracteurs décérébrés et simples trolls.

  3. Bonjour, Jö, chieur de service…
    Si je puis me permettre : le hummer c’est dépassé dans GTA (monte à 6 étoiles et vole un tank comme tout le monde !); et si tu vises les genoux je pense qu’on peut partir sur un low kick. Fin de la minute nécessaire mais chieuse de M. Cyclopède.

    Pour en revenir au sujet (Orelsan), je suis pas particulièrement fan, mais dans le genre paumé sans idéaux à 30 ans, ça me parle un peu et ça se laisse bien écouter…

    J’aime bien le clip de « suicide social » mais la chanson fait un peu cliché (ou plutôt succession de clichés). Un bon résumé serait cette célèbre phrase de Georges Abitbol (l’homme le plus classe du monde) « Monde de Merde ! ».

    Cela dit, il y critique la société de consommation mais il se trouve que le premier clip (« plus rien ne m’étonne ») est un gigantesque « placement produit » alors : dichotomie, antithèse ou simplement cynisme ?
    🙂

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.