Non, le blues ne revient pas, il a toujours été là !
Après Moby en 1999, (album Play, contenant en particulier « Natural blues », reprise en boucle du « Trouble so hard » de Vera Hall), après les compilations Blues beat (qui font se rencontrer –virtuellement- des légendes comme Lightin’Hopkins ou R.L. Burnside et la fine fleur de l’électro comme Mùm ou Amon Tobin) , voilà qu’en 2012, à quelques mois d’intervalle, deux artistes du monde électro mettent à l’honneur ce bon vieux blues, cette musique où plongent les racines d’une bonne partie des musiques actuelles : un hommage de la plus immatérielle des musiques -celle de la génération « tout digital sans les mains dans le cambouis »- à la plus « crade », celle qui sent la sueur des champs de coton, l’alcool des bouges et le stupre des bordels ; hommage de la plus sophistiquée, rendue possible par des techniques faisant fi des contingences matérielles et des contraintes instrumentales, à celle qui se faisait à la main, avec 3 bouts de ficelles, une guitare plus où moins accordable, un harmonica ou un piano bastringue.
Le miracle étant que l’on retrouve à chaque fois les éléments essentiels des deux univers, finalement pas si antinomiques… :
Nicolas Repac (vous savez, l’acolyte d’Arthur H. dans « L’or noir »), après avoir cité Billie Holiday dans « Swing swing », album électro-jazz, plonge avec Black box dans les racines des musiques noires, au sens large : blues, mais aussi musiques haïtiennes, chants traditionnels d’Afrique de l’Ouest (région d’où ont été expédiés vers le Nouveau Monde la plupart des esclaves), et même airs de Bosnie, comme un blues d’Europe de l’Est. L’émotion est toujours présente, que ce soit dans le « Chain gang blues »1 dont l’âpreté originelle est à peine adoucie par la légèreté de la guitare, ou dans cette « Complainte de l’aube ».
Kid Koala, jeune prodige canadien facétieux qui lui aussi a souvent utilisé des citations jazz dans ses albums précédents (en particulier Your mom’s favorite dj, que j’ai presque pris à l’époque pour un cadeau personnalisé, … question de génération, et de choix musicaux), utilise ici des extraits de blues classiques : un trait d’harmonica ici, une voix en glissando par-là, un riff de cuivre, une envolée de piano, un sax sensuel soulignant une vocalise poignante, tout cela directement scratché, les manches retroussées et les mains dans le charbon du disque vinyle2 : car ici tout est fait à la main (enfin, presque) : manipulation des vinyles, mixage et effets (allez voir dans le livret d’accompagnement la photo de son matériel !), mais aussi dessins de pochette et de livret, et même le petit cadeau accompagnant l’album, comme au bon vieux temps de Pif-gadget : une mini platine en carton à construire soi-même, à tester avec le disque souple qui l’accompagne3
De quoi réjouir à la fois les fans de blues, les adorateurs du vinyle, les fous du turntablisme, les amateurs de groove, les bricoleurs, les accros aux dominos, et réconcilier les vieux schnocks du blues et les jeunes branchés de l’electro…
kid koala par bibliothequegrenoble
- les chain gang : groupes vocaux constitués dans la première moitié du XXème siècle par les prisonniers noirs dans les pénitenciers américains [↩]
- turntable en live, par Kid Koala : http://www.youtube.com/watch?v=d5vo0nSIx74 [↩]
- à voir ici, fabriqué avec dévouement par 4 petites mains gauches de bibliothécaires musicaux, fallait bien ça !
[↩]
J’aime vraiment beaucoup le CD de Nicolas Repac. Un bijou que je me passe en boucle pour avoir la patate. A quand un passage sur les scènes de l’agglo ?
Nicolas Repac était à Grenoble il y a quelques mois pour accompagner des lectures d’Arthur H à la MC2. Un spectacle qui aura marqué notamment pour son accompagnement à la guitare…
Heu, un message à deux vitesses ?
La réponse, peut-être, sur une vraie platine!
alors, quelqu’un a saisi le sens du message délivré par Kid Koala sur son mini vinyle ? parce que nous, on n’a rien compris !