MUSIQUE ELECTROACOUSTIQUE

Bmol sur la plage! En juillet et août, Bmol sera en mode « best of »… Retrouvez donc tout l’été des articles parus depuis 2008, spécialement séléctionnés par notre équipe. Ceux que l’on a aimés passionnément, qui ont déclenché la curiosité, les passions, les commentaires voire les sourires, et qui vous avaient peut être échappé…
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5 disques pour ceux qui (pensent qu’ils) n’aiment pas la musique électroacoustique.

Ce mot à rallonge fait tout de suite un peu peur, et comme lorsqu’ils luttent contre la peur ou le froid, le corps et l’esprit se crispent, sur la défensive : les tympans se rétractent, les muscles se nouent, le cerveau se fige…

Pourtant ces musiques, créées à partir de sons enregistrés puis traités et organisés et que l’on appelle concrètes, électroacoustiques, acousmatiques, et autre …iques, ne nous sont pas aussi étrangères que ce que l’on s’imagine au premier abord : nous les avons tous rencontrées à un moment ou à un autre – au détour d’un spectacle, d’une ambiance radiophonique, de la mise en sons d’une exposition – sans forcément les identifier; mais surtout, elles font tellement appel à notre mémoire auditive qu’elles ont souvent le pouvoir de nous transporter dans de véritables paysages sonores, ou encore de faire ressurgir des émotions liées à des sons que l’on pouvait croire oubliés.

Bien sûr, on peut être dérouté par l’absence apparente de rythme ou de mélodie, voire les deux, mais il suffit d’aborder l’écoute sans crainte, comme on écoute une histoire, de se laisser aller et d’absorber les impressions auditives, pour que tout un monde imaginaire s’offre à nous, chacun pouvant se faire son propre « cinéma pour l’oreille ».

…Installez-vous dans un bon fauteuil, fermez les yeux, et choisissez votre aventure, si le cœur vous en dit !

5 propositions :

Luc Ferrari : dans l’album intitulé « Presque rien » : « Presque rien no 1, le lever du jour au bord de la mer » (outils utilisés : microphones fixes et bande magnétique) : immersion dans un paysage sonore : vous êtes dans un petit village de pêcheurs quelque part dans un pays du sud, au lever du jour : la mer installe le bourdon, la vie se déploie en un lent crescendo, rythmée par le caquettement des poules, le moteur des bateaux … jusqu’aux cigales de l’heure de la sieste.

François Bayle : « Morceaux de ciels » :  ici on retrouve des repères plus « musicaux », puisqu’on reconnaît quelques instruments de musique (clavier, cordes, peut-être des flûtes, puis des cuivres et des voix,  mais retravaillés sur bande magnétique, de façon à donner aux sons des durées et des couleurs inhabituelles : je ne suis pas suffisamment technicienne pour vous en dire plus , mais je me sens à l’écoute de cette musique transportée dans des espaces intersidéraux…

Xavier Garcia  : « Radiorama »  : j’avais déjà parlé sur Bmol de ce disque au moment de son introduction dans les collections des bibliothèques de Grenoble, mais je ne résiste pas au plaisir de passer la deuxième couche : un récital de citations radiophoniques puisées dans les archives de l’INA, qui nous fait remonter le temps

https://bmol.bm-grenoble.fr/album-de-la-semaine-xavier-garcia-radiorama/

Pierre-Yves Macé : « Passagenweg » (2009) : c’est une sorte de mise en abyme des techniques d’enregistrement – depuis le 78 tours jusqu’aux possibilités infinies des dernières technologies – qui utilise entre autres des samples de vielles chansons françaises. (ah, le pouvoir évocateur du vynil crachouilleux bouclant son sillon , sans parler de la poésie de l’accéléré de la bande magnétique! … tout ça est d’une beauté et d’une douceur nostalgique incomparables!).

Jean-Charles Sauton : « Ce n’est rien de le dire » (2006) : ancien décorateur de théâtre (à Grenoble entre autres), il a eu envie de passer à la mise en scène pour les oreilles : à l’aide de  recyclages de sons plus abstraits que dans les exemples précédents, il nous propose des excursions express dans des ambiances tour à tour crépusculaires, inquiétantes, rêveuses, ou humoristiques.

A la Bibliothèque Centre Ville, ces disques se trouvent dans le rayon « Electroacoustique » (cote 3.5), à proximité du bac « Electro », et pas très loin des « Inclassables », pour cause de cousinages… bien qu’officiellement, ils soient directement parents avec la musique savante.

Et en guise de post-scriptum, voici quelques acquisitions de ces 2 dernières années de la Bibliothèque du Centre Ville en musiques électroacoustiques, apparentées et autres étrangetés :

UnikoKronos Quartet & Kimmo Pohjonen: « Uniko » (Ondine, 2011)
Un accordéon comme une boule d’énergie lancée à la vitesse de la lumière, porté par une vague de cordes, le tout démultiplié par l’intervention de l’électronique : aux touches de l’accordéon, Kimmo Pohjonen, sorte d’extra-terrestre finlandais aux allures légèrement punkoïdes, aux cordes c’est bien sûr le Kronos Quartet, quatuor de formation classique qui s’est spécialisé dans le répertoire contemporain, toujours prêt à l’aventure et à l’expérimentation, et aux petits boutons et grands effets électroniques, c’est Samuli Kosminen qui, en traitant les samples d’accordéon et de cordes donne une épaisseur et une ampleur supplémentaires à cette musique déjà pleine de profondeur.

FluminaChristian Fennesz & Ryuichi Sakamoto: « Flumina » (Touch, 2011)
Le guitariste autrichien Christian Fennesz et le pianiste japonais Ryuichi Sakamoto enregistrent leurs sons chacun de son côté, transmettent au deuxième larron qui intervient sur la proposition, rajoutant ici une nappe de guitare flottante, là des notes perlées au piano, ailleurs quelques effets de miroitement ou de souffle : L’impression de voyage immobile est parfaite, on se sent comme mollement allongé au fond d’une barque bercée par les flots au milieu de l’infini, enveloppée d’un fin brouillard filtrant des reflets dans l’eau que n’aurait pas renié Debussy.

Toma Gouband: « Courants des vents » (psi, 2012)
Contrairement à ce que le titre pourrait laisser croire, il ne s’agit pas du tout de musique pour instruments à vent, mais uniquement de percussions : des peaux, des blocs de bois, mais aussi et surtout des lithophones (autrement dit des pierres, des silex ou autres cailloux). Et tout cela est d’une légèreté et d’une musicalité étonnantes.
http://www.youtube.com/watch?v=iIAzYdgmSHE

LeyfduHildur Gudnadottir: « Leyfdu ljosinu » (Touch, 2012)
Cette violoncelliste islandaise, qui a joué avec Mùm et Pan Sonic, groupe culte du monde des musiques électroniques minimalistes, se lance dans l’aventure du solo démultiplié : enregistrement en situation, aucun re-recording : une voix, un violoncelle, et des traitements électroniques, pour cette musique où le temps et l’espace s’étirent et nous engloutissent : beau et mélancolique à souhait.
http://www.youtube.com/watch?v=oi8IlYkc8iU

Samuel Sighicelli (programmé par le festival Les Détours de Babel en 2012), « Marée noire » (D’Autres Cordes, 2007)
A l’origine, un spectacle avec un comédien et une vidéo, intitulé « Marée noire, une conférence engagée poétiquement ». Il s’agit ici de la version audio. Commande de l’Institut National de l’Audiovisuel, via le groupe de Recherche Musicale, « … le projet évoque l’exploitation du pétrole dans son ensemble, ses tenants et ses aboutissants. Il ne s’agit pas d’une œuvre militante mais du survol poétique d’un monde hanté par le pétrole, drogué au pétrole, pris dans la marée noire. »
Avec le son de la guitare basse et de la contrebasse de Bruno Chevillon.
http://www.youtube.com/watch?v=b5L377U09GE

The Vegetable Orchestra, « Onionoise » (Transacoustic research, 2010)

Une dizaine d’autrichiens fous de musique et de légumes se sont constitués en orchestre « végétarien » : après avoir fait le plein de légumes frais au marché, ils sculptent et fabriquent leurs instruments (flûtes en carottes, bongos de céleris raves, violons en poireaux, percussions d’aubergines…), les accordent, les amplifient, jouent en concert, puis font la soupe. Le résultat est étonnant, et réjouissant !


Yann Paranthoën, »Portrait d’Irène Zack », suivi d’  « Un portrait sans visage » de Christian Zanessi (Césaré / INA)

Yann Paranthoën, disparu en 2005, était « sculpteur de sons » à Radio France, où il était maître dans le domaine du documentaire sonore ; dans le cadre d’un travail sur le toucher dans les métiers d’art (« Jeux de mains ») il fait en 2003 le portrait radiophonique d’une sculptrice sur pierre, puis offre les sons qu’il a enregistré sur son Nagra à Christian Zanessi qui à son tour les travaille à l’ordinateur pour en faire une oeuvre électroacoustique d’une grande poésie.

http://www.arte.tv/fr/1046366,CmC=1046420.html

Jean-Claude Eloy, « Shânti (paix/peace), pour sons électroniques et concrets » (Hors Territoires, 2001)

Ce double CD est la première publication intégrale d’une œuvre créée en 1972 et 73 dans le célèbre Studio de Musique Electronique de la WDR à Cologne : Shânti est une fresque de grande envergure (140 minutes), utilisant des sons abstraits et concrets organisés en boucles étirées qui se transforment lentement, dans une atmosphère méditative évoquant des rites orientaux dans lesquels le son est considéré comme source et origine.


Patrick Ascione, « Métamorphose d’un jaune citron » (Metamkine collection Cinéma pour l’oreille, 1995)

C’est un mini cd, comme tous les disques de cette collection, et ce n’est pas franchement une nouveauté (l’œuvre a été créée en 1979), mais la réédition vient d’arriver dans les bacs de la bibliothèque : en 14 minutes et 2 secondes, ce jaune citron se répand et tourbillonne : la perception de la musique est toujours subjective, et pour ma part je n’y vois pas forcément que du jaune, mais ce petit quart d’heure m’a plutôt donné une sensation d’espace, de dynamisme et de joie de vivre.

Michel Chion, « Diktat, 7 fragments des récits de Melchisédech » (Nuunlabel, 2010)

C’est aussi une réédition, après révision de l’original, lui aussi de 1979. Le parti pris est à l’inverse du précédent celui de la durée : Michel Chion, apôtre de « l’art des sons fixés », nous présente « 7 fragments des récits de Melchisédech », sorte de clochard-prophète polyglotte, de son réveil jusqu’à la nuit : la voix est le pivot de l’œuvre, tour à tour bredouillante, autoritaire, nostalgique, jusqu’aux éructations et aux évocations d’outre-tombe finales, le plus souvent accompagnée d’une machine à écrire. Michel Chion évoque à propos de ce mélodrame les univers labyrinthiques des romans de Philip K. Dick.

http://soundcloud.com/nuunrecords/michel-chion-diktat-extrait

Seth Nehil, « Furl » (Sonoris, 2010)

De grandes masses se déplacent en résonnant, quelques humains s’interpellent dans le lointain, on ne sait pas si on se trouve à l’intérieur d’un bâton de pluie, sous les pales d’un hélicoptère de verre, suspendu au dessus d’un gouffre, lumière dans une aurore boréale, goutte de pluie rebondissante, cellule à l’intérieur des ailes d’une cigale…ou bien juste au cœur de sons complètement abstraits : le mystère reste entier.

http://www.sonoris.org/mp3/%28Sonoris%29 Seth Nehil Furl Pluck.mp3

Vincent Laubeuf, « Raréfactions » (Motus, 2010)
Paysages musicaux, chants d’oiseaux et bruits de rivière (A travers un monde dénaturé), instruments samplés, extraits d’œuvres baroques (sons d’archets étirés à l’infini dans « Une passacaille »), sons telluriques ou au contraires très aériens (Sous terre / Exploration), tout y est travaillé avec une délicatesse extrême, alliée à une énergie bien présente.

http://www.electrocd.com/fr/cat/m_310016/

Stevan Kovacs-Tickmayer, « Repetitive selective removal of one protecting group » (Megacorp, 2010)
« Ni électronique, ni acoustique mais allant de l’un à l’autre, jouant avec les textures comme pour mieux tromper l’écoute et son confort, la musique du pianiste serbe (entre NANCARROW, ZAPPA ou LIGETI) assemble les éléments hétéroclites d’une écriture délibérément complexe dans le but d’en redéfinir la cohérence ou l’intention première. Même si la microtonalité et les polyrythmies prennent un malin plaisir à brouiller les pistes, ces explorations subtiles de timbres et de résonances intiment à l’auditeur un regain supplémentaire d’attention, lequel effort s’en verra, au bout de quelques écoutes à peine, largement récompensé. (Orkhestra) »
Un piano évoquant Cecil Taylor, une intro plutôt jazzy, des ruptures brutales nous faisant au premier abord sauter du coq à l’âne, des sons d’outre-monde, un petit coup de Bontempi, des harmonies inspirées de Stravinsky ou de Varèse, des effets à la Pierre Henry, un chien répondant à une guimbarde… Stevan Kovacs-Tickmayer s’ingénie à nous dérouter, dans un chaos savamment organisé.

Francis Dhomont, « Etudes pour Kafka » (Empreintes Digitales, 2009)
Plonger l’auditeur dans l’ambiance angoissante des écrits de Franz Kafka : pari réussi, haut la main ! Francis Dhomont utilise dans ces trois « études » un matériel sonore que lui-même qualifie de « rugueux, hésitant et sans séduction » (à propos de « Brief an der Vater », construit autour de la lettre que Kafka écrivit à son père sans jamais la lui envoyer), mais sans conteste d’un grand pouvoir évocateur.
http://www.electrocd.com/fr/cat/imed_09102/

Z’EV & Chris Watson, « East African nocturne » (Atavistic, 2010)
« Partenaire d’Oren Ambarchi, Genesis P-Orridge, Hans Joachim Irmler, Charlemagne Palestine ou Lydia Lunch, Z’Ev est une icône de l’indus. Les sources sonores de ce duo avec Chris Watson (Cabaret Voltaire/Hafler Trio) ont été glanées en Tanzanie : des field recordings composés de cris d’animaux (éléphants, lions, hyènes, oiseaux, vautours, grenouilles et insectes). Les percussions ont été enregistrées dans la crypte de l’église de Spitalfields à Londres. Les premières de ce nocturne, d’un tout autre registre que ceux de Fauré ou Bartok, eurent lieu à la South London Gallery de Camberwell en septembre 2010 » (Orkhestra).

Michael Pisaro, « July mountain (three version) » (Gravity ware, 2010)
Fields recordings enregistrés dans différents lieux en Californie entre 2006 et 2009 : 1ère version : le field recording lui-même ; 2ème version : avec percussions ( Greg Stuart), conçue pour être écoutée avec ou sans les fields recordings ; 3ème version : préparée et mixée par Greg Stuart pour une performance à Austin en février 2010, avec des fields recordings de Greg Headley, Jez Riley French, Travis Weller, Greg Stuart et Michael Pisaro : bref, la montagne estival sous tous les angles!

 

Pierre Schaeffer, « L’œuvre musicale » (INA-GRM, 2010)
Attention, monument ! A lire l’article qui lui a déjà été consacré ici

Author: Martine

Si j'avais le choix de la couleur, j'aimerais assez être bleue, comme la note du même nom; si j'étais une note, j'aimerais être n'importe quelle petite croche de l'adagio du concerto pour clarinette de Mozart (et je promets de rester bien à ma place), ou encore un silence entre 2 notes de Thelonious Monk; si je devais changer de métier, je me vois bien pâtre sur un rocher chez Schubert ou ornithologiste chez Charlie Parker… Mais bon, j'avoue, dans la vraie vie je m'appelle Martine, et je suis amatrice, outre de musiques en tous genres - mais plus particulièrement celles qui passent à des heures impossibles à la radio - de moelleux au chocolat (avec un fond de sauternes), car c'est bien connu, ventre affamé n'a point d'oreille, et dans notre métier, les oreilles, c'est essentiel !

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