LOW – HEY WHAT : le son de(s) ténèbres

Le cas de LOW est décidément passionnant, et cet opus le prouve une fois encore. Dans la droite ligne du précédent album Double negative qui avait explosé les certitudes musicales du groupe, tout en magnifiant leur créativité hors norme, ce Hey What sorti à l’automne 2021 nous laisse abasourdis.

Un extrait de Double negative: https://youtu.be/1z1ETYnTB7Y

Comme les deux faces d’une même pièce, ces deux albums se répondent l’un l’autre, formant un tout. Le chaos tellurique et déstructuré du premier débouche sur un vaste océan, plus harmonieux et encore plus énigmatique que l’album précédent, malgré une architecture ultra maîtrisée. Voici un joyau sonore aux éclats cristallins, un objet précieux non identifié, d’une « sombre clarté » pour reprendre le célèbre oxymore. Un message codé, abîmé, parcellaire, aux lueurs cosmiques nous parvient dès les premières notes (on devrait dire les premières vibrations : non ce n’est pas votre appareil qui est défectueux !).

Les distorsions angoissantes de Double negative ont muté en scansions rythmiques, en césures poétiques musicales, en rythmes métronomiques inquiétants, en vagues d’outre-tombe. Les voix si évidentes et si claires se transforment en mélodies dénaturées et se donnent naissance infiniment, entre chaque morceau. De la voix naît le son et vice-versa, ils sont intimement liés.

Telle une archéologie lacunaire, on découvre des bribes d’un chaos enfoui, des sons perdus, transmis par on ne sait quel miracle spirituel à nos oreilles contemporaines.

Est-ce un chaos antique ou la mélancolie crépusculaire de notre époque qui seraient ici mis au jour ? Passagers de ce vaisseau errant en corsaire des confins, nous sommes conduits à travers un paysage sonore en perdition.

Néanmoins, tout ici est très cohérent : la transparence des voix et les brouillages glauques, les nuées bruyantes et bourdonnantes sont l’alphabet de ce vocabulaire très élaboré et sophistiqué.

L’écran brouillé et gris de la pochette, strié et constellé de scories inidentifiables dit bien ce qu’il en est de cet univers vibratoire : un message mystérieux transmis du fond d’une galaxie, celui des restes d’une civilisation qui a sombré, dont les ondes distordues viennent hanter notre présent, fantômes nous alertant sur leur disparition.

Lancée tel une bouteille à la mer, cette luciole musicale (car c’est -paradoxalement- un album lumineux, harmonieux, mélodieux, délicat, subtil, profond malgré sa noirceur) cet ovni poétique nous trouve alors médusés et éblouis de pouvoir recueillir ces bribes d’humanité.

Le groupe expérimente ici avec une grande intelligence des sons heurtés, des ritournelles enfantines altérées, des jeux de crooners surannés, de la pop, des duos harmonieux, de la guitare en pleine saturation, des échos venus d’on ne sait où…

Souvenirs d’un monde déjà traumatisé et qui se cherche un salut.

On peut louer la cohérence et l’homogénéité de cet objet discographique (c’est réellement un album concept sonore), tel un bloc de marbre dont la finesse et la clarté modèle l’ensemble des 10 plages musicales.

On y trouvera des épopées spirituelles voire mystiques (The price you pay), des ritournelles distordues (More– un clip formidable !), des expérimentations primitives (White horses).

Véritable « Leçon de ténèbres », Hey what parvient à un degré de finesse rare. Dessinant un objet monolithique et primitif LOW affirme ici une intelligence plastique sonore qui se clôt en une apothéose sidérale qu’on vous incite à écouter.

Pour moi, définitivement L’ALBUM de 2021.

Cette errance poétique nous fait aussi réécouter avec plaisir un album récent de Nick Cave, Ghosteen, album des confins en hommage aux esprits disparus et aux fantômes.

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