KONSTANTIN AU PAYS DES HORREURS
Ça commence comme un film d’angoisse. A la première écoute de ce nouvel album, on se sent d’emblée happé dans un monde cinématographique, et cela jusqu’au final. Mais ce n’est pas une Musique de film imaginé comme l’avait proposé Anton Newcombe de Brian Jonestown Massacre, qui faisait renaître une certaine Nouvelle Vague française poétique quoiqu’ un peu affectée.
Le précédent album de Konstantin Gropper (l’incarnation de Get Well Soon) s’intitulait Love – autre sujet Ô combien cinématographique! Ici, il s’agirait plutôt d’une proposition savante et subtile mêlant les extrêmes : des films des années trente aux cartoons d’un Walt Disney (qui serait quelque peu désenchanté), en passant par les classiques de la comédie musicale hollywoodienne (Sinatra et consorts), tout un univers mental se construit : une fiction imagée inspirée d’une réalité plutôt cruelle.
The Horror… Titre étrangement paradoxal si on s’en tient à l’univers pop et mélancolique en apparence de Get Well Soon. Mais les apparences sont- on le devine- trompeuses : que cachent ces relents de musiques de films, quels secrets derrière ces atmosphères brumeuses, et ces références sonores bien ancrées dans notre imaginaire?
Les voix orientales, les murmures enfantins, les titres évocateurs (The horror, Martyrs, Dinner at Carinhall, Nightmare n°1, N°2 et N°3) organisent un bal obscur qui guide notre écoute.
C’est un album déroutant, qui devient addictif si on se donne la peine de se plonger dans les circuits complexes de son auteur : une germanité romantique, attentive au chaos du monde, esthétique et d’une grande force plastique. Une pochette inquiétante sous l’allure anodine d’un chien noir assis dans un angle qui n’est pas sans rappeler le chien noir du Stalker du cinéaste Andreï Tarkovski. Un univers de souvenirs cauchemardesques où un Little Nemo (l’anti-héro du pionnier de la BD éponyme de Winsor Mac Kay) se débattrait dans une débauche symphonique visuelle outrageusement colorée.
Une chevauchée des Walkyries, élégante mais terrifiante, teintée de souvenirs collectifs horrifiques, de périodes historiques sombres et toxiques (comme la nôtre?), de personnages grotesques ou tragiques.
Gropper signe là son opus le plus particulier et -malgré une belle unité – le plus éclectique. Il garde néanmoins l’essence de ce qui fait Get Well Soon : la fameuse inquiétante étrangeté sous les couleurs éclatantes d’une pop culture nourrie de souvenirs érudits, primitifs et historiques. Une chasse subtile (pour reprendre le titre du livre d’Ernst Jünger) au pays des horreurs.
Gropper est un crooner dont l’aspect désuet, par contraste, crée un chant dont la douceur ne doit tromper personne : cette suavité est limbique, le vernis de la civilisation et de la culture masquent les travers et les inavouables turpitudes de l’humanité.
Délectation et décadence pourraient être les maîtres mots de cet album. Un air tiré de Pierre et le loup qui serpenterait dans la cruauté du monde actuel. The horror est une proposition originale et raffinée, quoique d’un pessimisme avoué.
« You will get well soon » (« vous irez beaucoup mieux très bientôt ») …. pas si sûr.