JAZZ, CLASSIQUE & POTAGERS…

Jazz et classique : amours potagères et hybridations particulières…

Les musiciens de jazz sont friands de mélanges curieux, c’est bien connu, et certains, dans la lignée de ce que l’on appelait le « third stream » (troisième courant) initié à la fin des années 50 par John Lewis, George Russell ou encore Charles Mingus, marient non pas le jazz et la java, mais le jazz et la musique classique : cette voie continue d’être explorée par les musiciens de la jeune génération, toujours dans le souci d’élargir leur terrain de jeu.
Alors on est en droit de se demander quel peut être le résultat de cette union quelque peu contre nature :
eh bien, si je puis me permettre une comparaison potagère, c’est comme lorsque vous laissez mijoter dans votre compost les restes de courges, courgettes, melons et autres concombres : tout cela murit ensemble, et lorsque le temps de la germination puis de la fructification arrive, vous avez au fond de votre jardin des trucs étranges qui se sont hybridés naturellement, et qui ne sont ni des courgettes ni des courges, mais des cucurbitacées non homologués officiellement, à l’allure et au goût originaux (certes, il arrive que ce soit indigeste, mais il arrive aussi que la saveur en soit incomparable). Bref, tout ça pour vous dire que le processus est un peu le même en musique : ce n’est pas de la musique classique, pas vraiment non plus ce que l’on appelle couramment du « jazz », mais lorsque l’hybridation s’est faite dans les meilleures conditions et que les fruits arrivent à maturation, quel régal pour les oreilles!

Quelques exemples récents glanés dans les rayons des Bibliothèques de Grenoble :

GUILLAUME DE CHASSY : Silences (2012)
Où l’on fait des petits tours du côté de chez Poulenc, Chostakovitch, Prokofiev ou Schubert, en compagnie de Guillaume de Chassy au piano, Thomas Savy aux clarinettes (à la sonorité somptueuse) et Arnault Cuisinier à la contrebasse : ils nous offrent une réinterprétation personnelle d’œuvres du répertoire traitées comme des standards de jazz, séparées par des interludes improvisés, le tout enregistré dans l’Abbaye de Noirlac, à l’acoustique exceptionnelle, et dans une atmosphère de sérénité perceptible sur disque.
Parmi ces petits bijoux, mention spéciale à une perle que je porterais volontiers en boucles (d’oreilles) : « Du côté de chez Prokofiev », d’après le Concerto pour piano no 2, op. 16.
3 plages à écouter sur le site de Guillaume de Chassy : http://www.guillaumedechassy.com/index2.html

LAURENT DEHORS : Une petite histoire de l’opéra (2011) : après La Flûte enchantée en 2008, Laurent Dehors récidive avec ce disque où exigence musicale et humour vont de pair, et qui porte un sous-titre des plus parlants : « Immersion musicale décalée et fantaisiste dans quatre siècles d’opéra ». Il s’est acquis pour cette aventure la complicité de la soprano Anne Magouët, et nous entraîne dans une promenade en opéra pleine de chausse-trappes et de diables à ressorts. A écouter ici : http://www.tous-dehors.com/chap/index.php?idch=2&idrb=4

DAN TEPFER : Goldberg variations / Variations (2011)
Une musique à tiroirs et une communion musicale par-delà les siècles : le pianiste, qui possède à la fois une formation classique approfondie et des talents confirmés de jazzman, improvise des variations sur chacune des 30 Variations Goldberg de Johann Sebastian Bach, qui sont déjà elles-mêmes, comme leur nom l’indique, des variations sur un Aria.

LIONEL BELMONDO : Clairières dans le ciel (2011)
Après l’album « Hymne au soleil », puis « Clair-obscur », Lionel Belmondo poursuit son œuvre de fusion entre jazz et musique classique, en s’attachant plus particulièrement aux compositeurs du début du 20ème siècle (ici Marcel Dupré, Lili Boulanger, Olivier Messiaen) : une musique toujours d’une grande homogénéité, pleine d’ampleur grâce à l’intégration du Chœur National de Lettonie et aux arrangements subtils de Lionel Belmondo et Christophe Dal Sasso. http://www.deezer.com/fr/music/track/14087001

MICHAEL BATES : Acrobat / Music for, and by, Dmitri Shostakovich (2011)
L’album s’ouvre sur une version cuivrée du quatrième mouvement du trio pour piano no 2 op. 67, intitulé « Danse macabre » : l’original, composé en 1944 dans le contexte que l’on connaît, exprime avec force les émotions que provoquaient chez Chostakovich les horreurs de la guerre. Ici la batterie souligne l’aspect rythmique du thème, et les solos de clarinette et de trompette reprennent l’évocation des influences juives sensibles dans le chant déchirant du violon de l’original.
Le reste de l’album, fidèle à l’esprit sinon à la lettre, est constitué de compositions de Michal Bates, toutes empreintes de ce mélange d’élégance et de grotesque, d’humour et de sarcasme cher à Chostakovich.

LA MARMITE INFERNALE : Le Cauchemar d’Hector (2012)
Résultat d’une commande du Festival Berlioz de la Côte-Saint-André au collectif lyonnais : une musique aussi échevelée et pleine de démesure que le compositeur de la Symphonie Fantastique lui-même, par une grande formation toujours aussi enthousiaste, inventive et libertaire (une grande formation sans chef, ça ne court pas les rues!) plus de 30 ans après sa création ! Berlioz, qui en son temps a fait scandale par l’utilisation qu’il faisait des cuivres dans la musique symphonique doit bondir de plaisir au fond de sa tombe !
pour en savoir plus : http://www.dailymotion.com/video/xlwnl5_le-cauchemar-d-hector-la-marmite-infernale_music

…Ils sont encore nombreux à emprunter ces chemins de traverses avec bonheur, il faudrait citer aussi Michel Godard, son serpent et la musique baroque (Archangelica ; Castel del Monte), Le Radio String Quartet et Rigmor Gustafsson (Calling you) , Dieter Ilg (Otello live at Schloss Elmau), François Couturier (Tarkovsky Quartet), Lucian Ban & John Hebert ( Enesco re-imagined), Christophe Monniot (Vivaldi Universel [Saison 5]), et vous pouvez aussi vous reporter ici à un précédent article de Bmol sur un thème proche.

PS : Ah…, on me glisse dans l’oreillette que le compost n’est pour rien dans l’hybridation des courgettes, mais que tout se joue au moment de la pollinisation… du coup la métaphore marche moins bien, mais vous avez compris l’esprit ?

Author: Martine

Si j'avais le choix de la couleur, j'aimerais assez être bleue, comme la note du même nom; si j'étais une note, j'aimerais être n'importe quelle petite croche de l'adagio du concerto pour clarinette de Mozart (et je promets de rester bien à ma place), ou encore un silence entre 2 notes de Thelonious Monk; si je devais changer de métier, je me vois bien pâtre sur un rocher chez Schubert ou ornithologiste chez Charlie Parker… Mais bon, j'avoue, dans la vraie vie je m'appelle Martine, et je suis amatrice, outre de musiques en tous genres - mais plus particulièrement celles qui passent à des heures impossibles à la radio - de moelleux au chocolat (avec un fond de sauternes), car c'est bien connu, ventre affamé n'a point d'oreille, et dans notre métier, les oreilles, c'est essentiel !

2 Replies to “JAZZ, CLASSIQUE & POTAGERS…”

  1. Beau travail, bravo ! Un de mes sujets de prédilection, on pourrait carrément en faire une discographie avec tous les anciens…
    Le lien « ici » amène sur la chronique express sur Monniot dont tu parles juste avant, c’est normal Docteur ?

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