IVRESSES (Michel Godard, Franck Tortiller et Patrick Héral)

In vino musica, et vice-versa ?

Le thème du vin et plus généralement de l’ivresse (et même des ivresses au pluriel, comme ici) a inspiré nombre de musiciens de tous horizons, et en particulier les musiciens de jazz : faut-il y voir une parenté entre la désinhibition que le vin peut procurer et la liberté nécessaire à la pratique de l’improvisation, qui fait le sel de cette musique (bien qu’il ne soit pas forcément conseillé de pratiquer les deux simultanément…) ?

Quoi qu’il en soit, ces deux mondes du vin et de la musique ont en commun un vocabulaire  peuplé d’accords, de notes, de couleurs, de rondeurs, d’éclats ou de reflets, et un terrain de jeu commun : celui du plaisir. Ce n’est donc pas tout à fait un hasard si ces deux univers se rencontrent à l’occasion…

Et les accords les plus savoureux, en musique comme dans le verre, ne sont pas forcément les plus évidents, tant l’inattendu fait partie du plaisir, du palais comme des oreilles : ce trio, qui a passé une semaine de résidence à l’Abbaye de Noirlac, sur les terres berrichonnes qui donnent naissance au Sancerre et au Mennetou-Salon,  nous le prouve dans le mariage savoureux des timbres du serpent (instrument à vent aux formes sinueuses – d’où son nom – qui nous vient de la musique ancienne), des percussions-claviers et des percussions, comme d’autres marient les saveurs des différents cépages : les sons graves du serpent ou du tuba nous ancrent dans le terroir tandis que les notes aiguisées du vibraphone et du marimba s’élèvent tout en  légèreté et vibrations comme le parfum que l’on hume au-dessus du verre, et que la voix, l’électronique et les percussions du troisième élément de l’assemblage donnent le liant ou la ponctuation.

Tout au long de cet album qui s’ouvre avec une relecture  de « Si dolce e ‘l tormento » de Claudio Monteverdi dans laquelle le serpent donne tout son moëlleux , chacun des musiciens apporte les échos de son terroir d’origine, sous des titres aussi évocateurs que « Syrah », « Bourguignonne », ou « A Monk’s Clavelin », jusqu’à l’aboutissement : « In paradisum » … que rêver de mieux !

Non, je ne terminerai pas en vous recommandant selon la formule rebattue de déguster avec ou sans modération – à vous de voir -, mais en vous proposant quelques musiques sur le même thème, à retrouver bien entendu dans les bibliothèques de Grenoble :

– Dhafer Youssef : « Abu Nawas rhapsody : The wine ode »

Dhafer Youssef (oud, voix) que l’on avait entendu précédemment  avec Nguyen Lê, Renaud Garcia-Fons ou la nouvelle scène de l’électro-jazz norvégien s’associe ici entre autres avec Tigran Hamasyan (le jeune pianiste arménien qui a fait un tabac cette année avec son album solo « A fable »), pour un hommage au poète persan Abu Nawas, dont les poèmes (au 8ème siècle!)  chantaient, parmi d’autres, les plaisirs du vin et de la boisson.

– Moscow Art Trio : Introduction & wine variations : troisième mouvement de « Village variations », musique pour un ballet imaginaire en 6 scènes composé par Misha Alperin pour le Moscow Art Trio et orchestre à cordes et percussions, sur une commande du Norwegian Chamber Orchestra : un alliage de jazz, de musique classique et de folklore. Cette scène très imagée évoque les titubations joyeuses et les hoquets de villageois un peu « gais ». Dans un autre contexte, et pour donner une petite idée de leur musique :

– Amy Winehouse : Rehab : le versant sombre, ô combien, du tableau… mais comment ne pas évoquer  la chanteuse anglaise à la voix soul et au destin brisé à 27 ans pas les abus de drogues et d’alcool : oublions les concerts ratés, mais réécoutons (jusqu’à plus soif ?) ses enregistrements, en particulier l’album « Back to black », qui s’ouvre sur « Rehab », où elle envoie balader la cure de désintoxication.

– Musique des vignes. Disque enregistré dans les années 90 par le Groupe de Musique Electroacoustique d’Albi-Tarn (GMEA) qui met en musique les étapes de la fabrication du vin, et qu’il était conseillé alors d’écouter en buvant un Château Salettes 1990 : il est encore possible d’emprunter ce disque en le réservant au Fonds Commun Musique des Bibliothèques de Grenoble, par contre nous ne pouvant pas garantir le Château Salettes…http://www.gmea.net/structure/gmea/histoire.htm
– Et bien sûr : « Days of wine and roses » : chanson composée par Henry Mancini et Johnny Mercer pour un film du même nom, devenue standard de jazz  et interprétée par nombre de musiciens, de Ben Webster à Michel Petrucciani en passant par Sun Ra et Bill Evans. Ce thème est en quelque sorte au jazz ce que « Le petit vin blanc » est  au musette (en plus sombre) : un incontournable.

…et bien d’autres encore qui ont d’une manière ou d’une autre rendu hommage au divin breuvage ou à l’ivresse : Boris Vian (Je bois), Brad Mehldau (Lilac wine), Champion Jack Dupree ( Drinking wine spodie-odie), David Krakauer (Roumanian wine cellar), Bobby McFerrin (Let’s drink the wine), Egberto Gismonti (Agua & vinho)… etc.

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Author: Martine

Si j'avais le choix de la couleur, j'aimerais assez être bleue, comme la note du même nom; si j'étais une note, j'aimerais être n'importe quelle petite croche de l'adagio du concerto pour clarinette de Mozart (et je promets de rester bien à ma place), ou encore un silence entre 2 notes de Thelonious Monk; si je devais changer de métier, je me vois bien pâtre sur un rocher chez Schubert ou ornithologiste chez Charlie Parker… Mais bon, j'avoue, dans la vraie vie je m'appelle Martine, et je suis amatrice, outre de musiques en tous genres - mais plus particulièrement celles qui passent à des heures impossibles à la radio - de moelleux au chocolat (avec un fond de sauternes), car c'est bien connu, ventre affamé n'a point d'oreille, et dans notre métier, les oreilles, c'est essentiel !

2 Replies to “IVRESSES (Michel Godard, Franck Tortiller et Patrick Héral)”

  1. Merci Caroline pour cette belle citation…, quoique, en attendant d’être obligée de choisir, je garderais bien les deux (surtout le fond de Sauternes avec le moelleux au chocolat).

  2. J’ai beaucoup aimé cette chronique…

    « Dis-toi bien qu’si quelque chose devait m’manquer, ce serait plus l’vin, ce serait l’ivresse… » [Michel Audiard]
    Un singe en hiver (1962) d’Henri Verneuil

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