FRANK ZAPPA – The Grand Wazoo

Comment rentrer dans l’œuvre pléthorique de Frank Zappa ? Il a publié de son vivant 62 albums (rappelons qu’il est mort à 53 ans), sans compter les compilations et les albums en concert (nombreux) et sans parler de son appartenance au club très fermé des auteurs (Jimi Hendrix, Prince) capables de sortir des œuvres post-mortem à un rythme effréné.
Il y a bien l’option de la compilation, le guitariste-auteur-compositeur-chanteur-parolier-showman à l’humour sarcastique en ayant publié une en 1995, sous le titre à l’ironie évidente, Stricltly commercial. Rien de vraiment commercial à vrai dire mais une compilation de ses titres les plus connus, ce qui en fait quand même pas mal…
Car derrière sa réputation de musique exigeante et alambiquée, ce qu’elle est AUSSI indiscutablement, l’œuvre de Frank Zappa regorge de thèmes géniaux et assez simples tant pour l’exécution que pour leur capacité à se faire une place dans votre cerveau. Citons dans le désordre : Eat that question, Muffin Man, I’m the Slime. Dirty love, Montana, Cosmik debris, etc. J’arrête ici cette liste qu’on pourrait rallonger sans effort. Ne négligeons pas les talents de compositeur du chevelu. C’est la deuxième option.
Il y a également l’angle guitaristique. Chacun des disques de Zappa regorge de solos exécutés par ses soins plus ou moins marquants (et à mon humble avis, il y a toujours quelque chose de bon à piocher chez le moustachu). Mais si ça ne suffit pas à combler vos besoins en la matière, il a également concocté des albums uniquement dédié à la guitare : Shut up n play yer guitars, Shut up n play yer guitars some more (on ne rit pas) et Guitar.
Enfin dernière option, les albums. Je veux dire : les albums bons de bout en bout qu’on peut écouter d’une traite sans avoir à sauter certains titres fastidieux ou avec des digressions musicales trop longues, ou avec des discours sarcastiques trop longs ou… bref. Il y en a. Apostrophe () dont j’ai déjà parlé sur ce blog , Hot rats bien sur, sans doute Over-nite sensation et aussi Chunga’s revenge. Et j’imagine qu’il y en a encore bien d’autres que je n’ai pas encore débusqué. Et justement, venons en à ma dernière découverte : The Grand Wazoo !
Album presque entièrement instrumental paru en 1973, c’est sans doute l’album le plus jazz de l’homme au chapeau melon. Par la structure des morceaux d’abord : énonciation du thème, solo des musiciens, éventuellement retour du thème, nouvelle prise de solos, etc. Pour ce genre d’exercice, il vaut mieux des pointures et des thèmes inspirés. Pour les thèmes, ils sont parmi les meilleurs pondus par Frank Zappa (Ah… Eat that question !), pour les pointures, outre Zappa lui-même à la guitare, il y a George Duke (pianiste ayant joué avec Miles Davis, Billy Cobham, Stanley Clarke, Jean-Luc Ponty, Tom Waits, Michael Jackson, Al Jarreau) et moult musiciens qui se révèlent particulièrement inspirés ici. Citons entre autres Sal Marquez à la trompette, Bill Byers au trombone ou encore Ernie Watts au saxophone. Par l’orchestration ensuite. Zappa s’est fait plaisir avec un big-band de cuivres pour l’accompagner et mettre en valeur ses compositions. L’aspect jazzy de l’album en est décuplé.
The Grand Wazoo est un album de jazz-rock mais sans les défauts et dérives inhérentes au genre (verbiage long et inutile, démonstration technique usante, ego surdimensionnés des musiciens). Ils sont assez peu finalement à avoir réussi cette performance : Miles Davis évidemment, le Jeff Beck de Wired, le Mahavishnu Orchestra de John McLaughlin… Ici l’album ne nous perd jamais, il y a toujours une variation sur un motif, une subtilité, la finesse des arrangements, quelque chose qui retient l’attention…
Enfin, la pochette vaut vraiment le coup d’œil. Elle représente une grande bataille antique où les instruments de musique remplaceraient avantageusement les épées, couteaux et autres fléaux et où les balles seraient remplacées par des notes de musique…
J’aime bien Frank Zappa. C’est une belle figure de son époque. Un chevelu débordant d’idées. Un seul mot d’ordre le concernant : écoutez-le ! Trouvez votre porte d’entrée, ne soyez pas effrayé par l’aspect monumental – dans tous les sens du terme – de sa discographie, et foncez !