CHANSON(S) RÉALISTE(S)

La grande force et l’originalité de Dominique A réside dans son langage. Dans son langage et dans les contradictions que celui-ci induit.
Le récit est simple, évident, concis, descriptif : il est le reflet de nos vies d’occidentaux moyens – il voit ce que nous voyons tous, dans nos vies urbaines et bien réglées : « Je vis dans un désert d’hiver infesté de monde l’été», « les pédalos sont recouverts de bâches aux teintes délavées ». Il vit des mésaventures qui relèvent presque de l’anecdote : « Je suis retourné au corps de ferme à l’abandon », il éprouve tout ce qu’un individu moyen éprouve : l’ennui, l’amour « lorsque nous vivions ensemble (…) nous n’allions nulle part», l’expérience de la mort, les épreuves de la vie -aussi dérisoires soient-elles « la mort d’un oiseau m’a tourné le cœur ».
Ce prosaïsme qui flirte parfois avec la vision désenchantée d’un Michel Houellebecq a le mérite d’être compréhensible de chacun, sans mièvrerie, sans affectation ni affèterie, en toute clarté. Ce qui fait de Dominique A un chanteur qui peut toucher un large public grâce à des mots simples et néanmoins judicieusement choisis. D’une grande intelligence et d’une précision nécessaire, les paroles et la voix construisent une œuvre que certains tentent d’imiter, sans jamais l’égaler. Sorti en mars 2018 , l’album Toute latitude est le premier volet énergique d’un diptyque dont on écoutera dans un deuxième temps La Fragilité à l’automne.

Tous les récits de cet opus sont teintés de souvenirs, de sensations, et là, on rentre dans la subjectivité de l’auteur. Cette acuité sur le monde actuel se transforme alors en une vision complexe. «Ce qui sera de ce qui est, ce qu’il faudra de ce qu’il faut, ce qu’on devra de ce qu’on doit, (…) ce qui s’ajoute et ce qui se soustrait. Vide qui enfle forêt qui disparaît (…) le jeu est-il de tout changer ?». Cette ode à un éternel retour s’accompagne d’une analyse de la servitude volontaire contemporaine «nous ne serons jamais légers, on pourrait, qu’on ne voudrait pas».
Dominique A est un désabusé. La nature est animée d’une vie qui – paradoxalement – la détruit; l’insouciance des « enfants de la plage » se teinte des perversités glauques de cette même enfance en mal de sensations fortes : « et que ça pue, (…) c’était bien pour la peur, l’inquiétude ». Chaque chose a son revers. La jeunesse a ses traumatismes qui perdurent à l’âge adulte, la nature est le réceptacle des maléfices que l’Homme lui imprime. Les arbres, les animaux, les paysages semblent pleurer cette soumission.
Le monde de Dominique A est réaliste, tragique. Il remarque la désorientation des humains dans un monde qui leur échappe.
La place de l’Homme, sa légitimité au sein de la nature, le dévoiement de celle-ci par l’incurie qu’on lui fait subir, les échecs de la vie amoureuse, les écueils de la vie en société, l’enfance fugace, le destin autodestructeur de l’humanité, tout y passe.

La musique – quant à elle – offre aux mots l’élan poétique nécessaire pour créer une atmosphère puissante et sombre dont l’évidence nous cloue sur place (La mort d’un oiseau, corps de ferme à l’abandon – chef-d’œuvre d’une rare intensité pleine d’effroi). Les sons électro accompagnent avec raffinement cette parole qui frôle parfois la sentence moralisatrice… que Dominique A assume pleinement.
Heureusement, restent des mélodies à tomber, des refrains entraînants et rythmés. Tout comme la simplicité des phrases servent un propos plus grave et plus subtil qu’il n’y paraît, la musique pare les mots d’une lumière et d’une beauté formelle évidente.
Les ciels étoilés (l’album s’accompagne d’un opus bonus titré Ursa minor, du nom de la constellation de la petite Ourse), les lueurs nocturnes, l’ensoleillement diurne donnent toute son intensité à cet album lumineux et bien venu, tout à fait dans la lignée de ceux qu’on connaît déjà de lui.
A noter que si les titres des albums de Dominique A sont toujours en adéquation avec son univers mental et musical (La mémoire neuve, Remué, Tout sera comme avant, L’horizon, Vers les lueurs, etc), on ne peut pas en dire autant de l’ensemble des visuels des albums, tous assez laids et si peu en résonance avec la pertinence musicale de l’artiste.

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