Le mariage de la carpe et du lapin, acte 2
Eh bien non, décidément, le mariage entre musique classique et électro n’est pas si incongru, et même n’est pas si rarissime que ça :
Après Statea, de Murcof et Vanessa Wagner, deuxième démonstration avec « When time splits » de Mikhaïl Rudy Jeff Mills :
À ma gauche : Mikhaïl Rudy, pianiste d’origine russe formé au Conservatoire Tchaikovski de Moscou, interprète de Brahms, Schumann, Rachmaninov, Scriabine, Ravel etc ; également auteur d’un spectacle tiré du roman « Le pianiste » de Władysław Szpilman, et d’un livre, « Le Roman d’un pianiste ou L’Impatience de vivre » ; un artiste donc habitué à sortir du cadre, comme dans le projet « Double dream » avec le pianiste de jazz Misha Alperin.
À ma droite : Jeff Mills, pionnier de la musique techno, tout droit issu de Detroit, star internationale du dance-floor ; mais pas seulement : c’est aussi un expérimentateur, doublé d’un passionné de science-fiction et de cinéma (il a composé en 2000 une nouvelle bande-son du film Metropolis de Fritz Lang).
Et c’est là le point de convergence entre ces deux artistes également cinéphiles : lorsqu’en 2015 l’Auditorium du Louvre, dans le cadre de l’opération « Duos éphémères », donne carte blanche à Jeff Mills, celui-ci fait aussitôt appel à Mikhaïl Rudy. Car « les Duos éphémères sont des rencontres inédites, des unions fugitives entre des joyaux des archives cinématographiques et des musiciens ou DJ choisis par une personnalité de la scène musicale. »
Et c’est sur les rushes de l’Enfer, film inachevé de Georges Clouzot (tourné en 1964), bourré d’effets visuels inédits et surprenants, que les deux musiciens improvisent en direct.
L’improvisation est totale, dans un dialogue permanent entre les deux, à armes égales, les aspects rythmiques et mélodiques passant indifféremment du piano à l’électronique.
Au final, un duo plus tellurique que celui de Murcof et Vanessa Wagner : là où Statea s’élevait avec légèreté et transparence, le duo Rudy / Mills nous ancre dans la tourbe des passions humaines, voire nous attire au bord de gouffres infernaux (écoutez les échos inquiétants de « Scream » ou de « Black and white »).
L’atmosphère est à l’image de celle du film « maudit » de Clouzot : étrange et inquiétante, ponctuée de quelques éphémères oasis de clarté.